Coup de geule : Vous avez dit …Pénible?

Un coup de geule de Jean Cousin

La réforme des pensions a déjà fait couler pas mal d’encre même si en toute logique on se rend compte assez rapidement de la nécessité de faire évoluer sans tarder le système si on veut dans l’avenir pouvoir assumer une survie décente des retraités. Et si le chiffre de 67 ans fait peur à certains, et ce n’est pas pour tout de suite, qu’on n’oublie pas qu’en pratique en Belgique, on prend en ce moment sa pension en moyenne à 60 ans.

La tarte à la crème qui suit, dans ce contexte d’allongement de carrière et de durée de vie, est le thème de la pénibilité du travail dont se repaissent les syndicats, et qui ferait bien rire sous terre mon grand père, petit entrepreneur, qui a fait ses 50 heures semaine dans les années 50-60 et a voulu continuer à travailler à temps partiel, par plaisir, jusqu’à 74 ans.

De même, je connais des bûcherons ardennais, dont le travail est loin d’être léger physiquement, qui n’ont pas envie à 67 ans de s’asseoir dans leur fauteuil.

Je conseille à certains d’aller voir les agriculteurs et leur parler de leur charge et de leurs horaires de travail. Mais chez les syndicats, où nombre de personnes ressentent ces dernières années le travail comme une lourde obligation, ce point de vue n’est pas partagé. D’ailleurs, de longue date, le jour de grève n’est pas traditionnellement le mercredi, mais le vendredi ou le lundi.

Pénibilité ! La difficulté est bien sûr d’arriver à définir avec un maximum d’objectivité ce qu’est un métier pénible. Le Comité National des Pensions et les Partenaires Sociaux se sont mis d’accord sur 4 aspects : la lourdeur du travail physique, l’organisation complexe du travail, les risques de sécurité au travail , la charge mentale et émotionnelle de l’activité. Si l’on a exercé pendant plus de cinq ans un travail répertorié comme pénible, on pourra partir à la retraite à partir de 60 ans. Pourtant cela représente à peine 15% du temps de carrière dans ce cas.

Pour la lourdeur du travail physique, on parlera notamment des ouvriers du bâtiment, ceux du déménagement et transport, et toute une série que les médecins aideront à définir avec des critères assez précis, notamment liés aux maladies professionnelles.

Pour les métiers à risque en matière de sécurité, on pensera aux pompiers, à la police,

et d’autres métiers pour lesquels les statistiques d’accidents de travail feront partie des éléments déterminants.

Pour l’organisation complexe du travail, l’approche est plus difficile. Les coups de feu de la restauration sont connus, le travail de nuit aussi, mais si mon patron est très mal organisé et que sa structure déficiente et sa mauvaise gestion quotidienne stressent clairement son équipe, peuvent-ils tous se trouver dans, cette fois, une entreprise dite pénible ?

Cela nous mène au quatrième aspect où on trouve en tête des critères le stress ou le vécu émotionnel (hospitalier par exemple). On ne niera pas le phénomène du burn-out malgré ses aspects individuels.  Des métiers vont bien sûr cumuler partiellement ces critères. Certains estiment que près de 14% des professions sont à cataloguer comme pénibles et d’autres (des syndicats) penchent pour près de 30%.

On se demande donc évidemment où est la limite de la pénibilité. Si « pénible » c‘est ardu, astreignant, fatigant, ennuyeux, éreintant, laborieux, tuant, contraignant, voire douloureux…l’éventail des tâches et situations possibles est énorme. Et la pénibilité n’est pas nécessairement liée à l’étiquette d’une profession. Par exemple « enseignant » : ne me dites pas que le professeur d’université qui donne son cours ex cathedra est dans la même situation de pénibilité que l’institutrice maternelle.

Il faudra donc veiller à ne pas créer des listes abusives de métiers définis comme pénibles et on peut avoir des craintes à ce sujet.

 

Quand dans ce contexte on s’éloigne du physique pour aborder le mental, on arrive vite à parler abondamment du stress mais on ne peut pas négliger les différences individuelles. Parmi celles-ci, il en est une qu’on n’aborde pas suffisamment, c’est la motivation. On n’est pas motivé dans l’absolu, on l’est face à une situation. Si on n’est pas motivé pour son travail, on y va le pied lourd et on le trouve pénible, et cela peut bien sûr être le cas pour n’importe quel métier.

On est alors dans les aspects individuels du membre du personnel face à son patron

et la sensibilité de celui-ci au bien-être au travail. Il devrait pourtant le savoir qu’aujourd’hui  on n’obtient des performances que de gens satisfaits. Et pour ce faire, il doit être attentif à son équipe, à sa cohérence et à son ambiance de travail. Créer le bien-être dans l’entreprise c’est respecter tous ses collaborateurs à tous niveaux, animer son team dont chacun a un rôle important dans la réalisation de l’objectif commun. C’est dialoguer, les soutenir dans leur travail quotidien et reconnaître le travail bien fait.  C’est veiller à avoir des conditions de travail optimales quant aux locaux et au matériel utilisé. Ce n’est pas par exemple leur donner le chèque repas (qu’ils n’ont parfois pas demandé et auraient préféré autre chose) mais peut-être offrir un vélo à ceux qui choisissent ce mode de transport vers l’entreprise. Cela peut être leur offrir des séances de fitness adaptées à chacun qui ne fait (bien sûr) pas assez de sport, plutôt que des séances d’hypnose, sophrologie ou techniques de relaxations pseudo scientifiques : on n’est pas là pour faire de la psychothérapie. D’ailleurs si un collaborateur développe des troubles psychiques cela se retournera contre vous. Il ne faut pas s’attarder sur les symptômes mais faire apprécier l’entreprise et ce qu’on y fait en s’attaquant aux causes d’un travail inconfortable.

Pénible pour moi, c’est d’entendre ces médecins wallons qui doivent faire des certificats de complaisance faute de quoi ils perdent leur patientèle au profit d’un confrère moins  scrupuleux. Pénible pour moi, c’est entendre un certain nombre de belges pleurnicher sur tout et n’importe quoi. Mais tous ces gens ont leur smartphone, leur PC portable, leurs abonnements Spotify et autres, leur écran plat, leur voiture (et une seconde), leur GPS, ils voyagent plus facilement et bien plus loin (ce n’est plus la côte belge ou la France comme il y a 30 ans). Malgré le discours des syndicats, quel est l’ouvrier belge qui ne peut pas s’offrir une quinzaine en all-in dans un pays ensoleillé du sud ? Et on veut toujours plus et tout de suite.

A l’interview de recrutement certains jeunes s’intéressent d’abord aux avantages extralégaux offerts avant d’aborder le contenu de la fonction. Ceux-là risquent de trouver le job « pénible ». Les droits avant les devoirs, cela devient fréquent. Certains jeunes font un Erasmus hors Europe, et c’est tant mieux, d’autres font un tour du monde à 23 ans, avant de chercher un travail. On espère que ceux-là au moins se rendront compte que dans notre pays malgré ses (nos) gros défauts on vit mieux qu’ailleurs en Europe et dans le monde. Bien sûr, construire une maison est devenu impayable sans aide des parents et ils se demandent s’ils auront une pension convenable, mais ils doivent savoir que de toute manière il faut retrousser ses manches : sans enthousiasme il n’y a pas d’action constructive et sans travail, il n’y a pas de bien-être vrai.

Cessons de nous comporter comme des enfants gâtés et on verra qu’il n’y a pas tant de choses qui sont si…pénibles. Mais je ne vous oblige pas à penser comme moi.

 

Jean COUSIN

Conseiller en Ressources Humaines